![]() |
||||||||
Rencontre avec Alfrun Gunnlaugsdottir... | ||||||||
tiré de l'avant-propos de "Errances", traduit de l'islandais par Régis Boyer
Presses universitaires de Caen 1996, collection nordique |
||||||||
"Le cas d'Alfrun Gunnlaugsdottir est tout à la fois assez exceptionnel et caractéristique. L'Islande est un pays hors du commun où tout peut arriver, de ce qui ne se rencontre guère ailleurs. Ainsi, les très graves et très savants professeurs d'Université y sont volontiers, en même temps, de grands poètes: on en a au moins trois exemples particulierement prestigieux, depuis trois quarts de siècle, avec Jon Helgason, Einar Olafur Sveinsson et Sigurdur Nordal, tous autorités éminentes en philologie et en histoire littéraire, tous poètes de haut vol.
Alfrun Gunnlaugsdottir, sans connaître un notoriété comparable, appartient à la même espèce. Elle est née en 1938, elle a fait d'excellentes études en Islande, en Espagne et en France, elle est grande spécialiste de littérature médiévale "française" sur le compte de laquelle elle a publié des ouvrages fort savants ou des articles de revue spécialisées. Ainsi, en espagnol, Tristan en el Norte (Tristan dans le Nord) qui date de 1978. Cela lui a valu une chaire d'histoire littéraire générale à l'Université de Reykjavik, avec accent sur les langues romanes. Et puis, un jour, elle a eu envie, comme on dit à présent, de s'adonner à la fiction. Donc, elle a commencé en 1982 par un recueil de nouvelles, Af manna völdum (Fait de mains d'hommes), qui a tout de suite imposé son nom: qualité de l'écriture, finesse de la sensibilité, élégance de la Weltanschauung, il y avait là tout ce qu'il fallait pour consacrer un grand écrivain. Et le livre suivant, en 1984, un roman, Thel (Humeur), valut à l'auteur un prix littéraire islandais fort envié. Il s'y agissait, encore, d'analyser aussi subtilement que possible les élans du coeur et les mouvements de sensitive que suscite une difficile communication entre les consciences: très scandinave en cela, mais aussi très pudique. Mais la considération sans réserve devait venir en 1987 avec Hringsol, que je traduis par Errances; mais on aurait aussi bien pu penser à Vagabondages ou Approximations ou encore, comme on le verra, Effleurements, et qui valut à l'auteur d'être proposée par son pays pour le Prix du Conseil Nordique - qu'elle n'obtint toutefois pas. Depuis Hvatt ad runum en 1983 (approximativement Tête-à-tête, qu'on peut traduire aussi par Confidentiellement) ne fait qu'approfondir la veine magistralement exploitée dès le début. C'est un curieux récit, fait, en réalité, de trois histoires entrelacées [...] qui font constamment interférer passé et présent sur un fond où désir et trahison constituent une sorte de basse continue. [...] Depuis qu'elles existent (XIIe siècle), les lettres islandaises sont, avant tout, un reflexion sur l'écriture à laquelle elles ont toujours été attentives jusqu'à la manie. L'oeuvre d'Alfrun ne déroge pas: on peut aimer Errances pour les émouvantes histoires que le livre nous relate ou pour les personnages de chair et de sang qu'il nous présente. Mais l'amateur de haut goût retiendra avant tout un mode de rédaction proche de la virtuosité tout en respectant notre besoin de nous laisser prendre." |
||||||||
retour | ||||||||