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16 novembre...entre Å et Hamnoy...
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La petite montée qui part du Stockfishmuseum, juste à côté de laquelle se trouve ma cabane m'a donné bien du soucis ce matin. Il me fallut près de 45 minutes pour franchir les trente mètres qui me séparent de la route principale. Je dus me résoudre à chaîner l'avant de la voiture pour me sortir d'affaire. Il est tombé très peu de neige pourtant cette nuit, mais le froid à durcit le sol en glace. Je reste dans la région de Å pour cette journée. Je vais travailler un peu du côté de Hamnoy, à 10 kilomètres de là. Rien ne m'apparut très intéressant pour la photo. La lumière était peu présente, blafarde. J'ai rendez-vous avec Steinar au musée en début d'après-midi pour préparer la numérotation des images que j'ai réalisées voici quelques années. Il me reste un peu de temps avant notre rencontre aussi je me dirige vers l'extrémité du village, sur les falaises qui plongent en direction du courant de Moskenes.
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Empreint d'un combat constant entre la terre et la mer, l'eau se jette avec force contre les rochers. C'est l'endroit où nous avons plongé avec François, la semaine dernière. L'émotion me gagne, sentiment de tristesse et de joie réunies. D'un seul coup je revois les quatres mois d'aventure que je viens d'égrainer. Le lieu me laisse songeur, battement incessant des vagues, méprisante ressemblance d'un coeur lent dont les pulsations irrégulières viennent à l'instant surprendre le spectateur. Je m'en vais quitter les Lofoten dans trois jours, déjà.
Pour l'heure, Steinar m'attend. Nous passons du temps dans la fraîcheur du musée. Rien n'a changé depuis que j'ai réalisé mes images. Tout semble immuablement figé par le froid. |
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"Mon" Roi Morue danse toujours, suspendu à son fil de laine. Que de souvenirs... J'étais arrivé à Å au début du mois d'août 96, n'imaginant pas l'aventure qui allait naître de ma rencontre avec mon ami norvégien. Chaque année, quand je retourne aux Lofoten, Steinar prend un malin plaisir à relater mon histoire d'amour avec le stockfish. En vérité, j'étais arrivé ici avec une météo fantastique, l'écho de la mer et des mouettes et surtout, surtout la voix de Steinar parlant français avec une pointe d'accent, à la consonnance ironique. J'avais écouté religieusement l'histoire du "Roi Morue", histoire dont j'utilisai les fondements comme fil conducteur des expositions que j'allais réaliser. J'ai découvert dans cet environnement un respect profond de la tradition et de la culture de la pêche. Lors des séances de prises de vue, Steinar se rappelle, je n'avais rien pu avaler durant des jours. Il venait régulièrement me proposer du café et des biscuits mais je refusais systématiquement. L'instant était tellement précieux que je ne pouvais en gâcher une miette. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Il me semble maintenant que ces moments appartiennent à cet endroit... je ne fus qu'un passager, un voleur. Que dire de la première exposition en Suisse si ce n'est qu'elle fut accueillie avec entousiasme et qu'elle me permit de donner naissance à une seconde manifestation de même type l'année suivante, sur invitation d'Ilford, à Fribourg. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Entre deux, j'étais remonté à Å pour travailler encore sur le sujet afin de ne pas présenter les mêmes images qu'à la première exposition. Et comme toute histoire a une fin - et quelle belle fin - les images font maintenant partie du décor du musée, aux Lofoten. Je viens de revivre toutes ces émotions grâce à la rédaction du site. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
Un peu plus tard... J'aime le sentiment de chaleur qui se dégage des intérieurs norvégiens. On se trouve tout emballé d'un coup par une couverture invisible de douceur. La lumière y joue un rôle prépondérant. A l'inverse de nos plafoniers éclairant platement tout une pièce, l'éclairage d'une maison norvégienne est tout à l'inverse, faite de nuance, d'une multitude de petites lampes partout dans les pièces, sur les bibliothèques et les tableaux accrochés au mur. J'ai dû compter pas moins de dix éclairages ponctuels dans le salon seulement. Avec un feu dans la cheminée et une tempête bien d'ici, au dehors, on se sent vraiment enveloppé de securité. Steinar et son épouse m'accueillent ce soir pour le repas. Tagliatelle au saumon, norvégien, avec un petit vin blanc merveilleux. Le Stockfish (morue séchée) reste bien évidemment au menu de notre discussion, comme toujours. Nous parlons également d'artistes locaux, sculpteurs ou peintres qui, par leurs oeuvres, continuent à maintenir vivant le mythe du pêcheur des Lofoten. Steinar me montre un petit bronze, d'à peine dix centimètres de haut, représentant un petit pêcheur, un peu rondelet. C'est à son ami sculpteur John Rode, de Ramberg, qu'il a acheté ce petit bonhomme qui me touche beaucoup. J'étais encore loin de me douter de la rencontre que j'allais faire demain. Steinar m'explique que cet homme était son professeur de chant à l'école. Lors de mon passage à Ramberg, il y a quelques jours, j'avais essayé de faire une visite à la galerie, mais tout était fermé. Demain, je vais y retourner. Steinar me raconte alors un peu l'histoire de son ami et me dit de ne pas oublier de lui dire que je viens de sa part et qu'il doit absolument me chanter quelque chose... La soirée se termine, je rentre à la cabane, impatient d'être à demain... | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
17 novembre...l'Optimiste de la Côte...
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Depuis hier en milieu de journée la pluie ne cesse de tomber. La neige a pratiquement disparu à la surface de la route et les Lofoten prennent un aspect bien triste. Steinar m'a dit hier soir que j'avais eu de la chance de pouvoir faire mes prises de vue avec de la neige à cette période. Ce fut un magnifique cadeau et je pense ne pas avoir su l'apprécier intégralement. Les conditions de photographie vraiment difficiles ne m'ont jamais fait renoncer, il est vrai. Un peu de lassitude s'était probablement installée, malgré moi. Maintenant les îles perdent leurs atouts séducteurs et semblent me pousser à les quitter, afin d'achever mon travail, ailleurs...
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Je partis ce matin vers ma dernière rencontre. Sans doute le hazard n'existe pas et j'eus confirmation qu'il était temps que je m'en aille... jusqu'à la prochaine belle saison, peut-être. Je fis un dernier trajet vers Ramberg et je continuai ma route dans le Nusfjord. Je m'y arrêtai pour quelques instants sous une pluie battante avant de rejoindre la petite plage où j'avais festoyé photographiquement hier. L'atmosphère fut bien différente et l'océan me chassa avec insistance. J'essayai de contourner ses colères mais rien n'y fit...
J'arrivai à l'improviste chez l'ami de Steinar, le nuit tombait. J'étais trempé jusqu'au milieu du dos et je grellotais... |
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du côté de Nusfjord... | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Je fus accueilli avec gentillesse par l'artiste qui m'emmena visiter sa petite galerie, à deux pas de sa maison. C'est un endroit charmant au toit tout recouvert de terre et d'herbe. Je trouvai le personnage attachant. Il parla de son travail et la relation qu'il fit entre la culture des Lofoten et le respect du monde de la pêche me toucha droit au coeur. Il me présenta diverses oeuvres en m'expliquant leur histoire. Je fus un peu troublé par les similitudes qui commencèrent à apparaître avec mon travail sur la morue. Lorsqu'il me présenta un tableau intitulé le "Cri", je ne puis décrire ce que je ressentis. | ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Lors de mes prises de vues au Stockfishmuseum, en 1996, j'eus très souvent l'impression que les morues séchées, pourtant décapitées, poussaient un cri. Une de mes images s'intitula ainsi pour cette raison et en réponse au fameux tableau du peintre Münch. Je lui expliquai alors mon histoire à propos de cette photographie. Il mit la main sur son front, me regardant. C'est tellement incroyable que l'on puisse avoir une ressemblance pareille dans deux formes d'expression si différentes. Presque au même instant, à quelques kilomètres de distance, sans se connaître. Nous restâmes les deux un peu perturbés. "Ne détruisez pas l'Or de notre mer, nos morues", il n'y eut jamais dans nos propos de révolte contre les pêcheurs, bien-sûr, mais bien plus contre les politiciens gérant les quotas de pêche et les réglements.
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"Cri"... | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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Après ces moments d'émotion, je revins avec une autre question, concernant la petite statuette que Steinar m'avait montrée chez lui. Il me présenta son petit Pêcheur en chair et en bronze. Il en existe seulement 1000 exemplaires. Un autre procédé a été utilisé pour configurer, en sable, une série beaucoup plus importante. Impossible d'acheter un modèle en bronze, il n'en existe plus aucun de disponible. Je me contentai d'un exemplaire fait grâce au second procédé. Le sable provient des roches des Lofoten, il est concassé en grain très fin puis réaggloméré dans un moule. Parti d'une roche brute pour finir en petite figurine chargée d'une culture ancrée tout au fond des profonds fjords des Lofoten. Que dire si ce n'est que l'histoire était comme je les aime, sans égratignure, sans fin... éternel et optimiste recommencement... | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
John me traduisit du norvégien le texte qui accompagnait le Pêcheur et là je compris, avec beaucoup d'émotion, que mon histoire allait se terminer, ici, dans cette petite galerie. Tous me manquaient Parents et Amis et surtout, cette petite voix douce qui m'avait si souvent réconforté dans mes moments de doutes. Quatre mois d'expérience et une petite phrase... Sans rien demander, John s'assit à son piano et commença à me chanter une de ses compositions, puis une autre, et encore une... J'étais comme un enfant perdu au milieu d'une multitude de présents. Il me faudra probablement beaucoup de temps pour explorer chacun de ces trésors que j'emporte chez moi, là où je retourne. Je rentrai à Å pour ma dernière soirée. Steinar et son épouse, Elin, m'invitaient à écouter un concert à Sorvågen puis au repas chez eux. Je ne pus m'empêcher de leur raconter ce que j'avais vécu cet après-midi. Ils étaient heureux pour moi. | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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suite... | |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||
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